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  • Route vers Nulle part par l'Ouest

Lundi 1 Août 2022

Greenup, Illinois, USA
Effingham, Illinois, USA
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42,1
Kilomètres

Jour 57

Il y a des jours comme ça. Heureusement, c’est rare.
Départ avant 6 heures, sans lever de soleil ni joli ciel rose car tout est couvert. Et ça, la météo ne l’avait pas annoncé. Il doit faire beau toute la journée. Je traverse Greenup, tout est vide. C’est comme avant un tournage de western, mais le plateau n’est pas encore prêt, on a oublié d’enlever les panneaux et objets anachroniques. Je couvre Werner parce que quand même le ciel est bien lourd. Quitter la ville est très agréable, je passe devant un repère d’oies sauvages, il y a de très beaux envols. Mais pas de petite fille en ULM. Je traverse un pont couvert parfait pour Clint Eastwood. Cela sent bon lorsque l’on est en dessous. Sur cette toute petite partie du trajet, je suis sur la vraie ancienne route historique 40, le bitume est fendu et l’herbe essaye de s’y frayer un chemin. Et voici ma bonne vieille 40 actuelle, sur laquelle je dois marcher les sept heures prévues au compteur du gps. Sur ma droite c’est quand même très très chargé niveau ciel. Je fais un tour sur moi-même et j’ai une boule au ventre. La soucoupe volante se forme. Au loin, le ciel est noir. Je me prépare vite (cape de pluie, téléphone protégé), anxieuse, je sens que cela va être violent. Je fais une dernière photo du ciel, les nuages sont monstrueusement grands et à la verticale. Jamais vu ça de ma vie. Le tonnerre gronde déjà au loin. Et puis d’un seul coup, c’est comme si c’était la nuit. Quelques secondes plus tard je suis trempée jusqu’à l’intérieur de mes os. Cela arrive violemment de biais par la droite, et c’est un mur d’eau qui s’abat sur moi. Pire que dans une vidéo de Bill Viola car cela dure sur des kilomètres. Il n’y a absolument rien pour que je m’abrite. Je suis sur une ligne droite au milieu des champs. La pluie est brutale, je pense un moment que c’est de la grêle. Je ne vois rien à plus d’1 mètre. À chacun de mes pas mes chaussures remplies d’eau font floc. J’avance en me disant ça va s’arrêter. Mais à chaque fois que je crois sentir la pluie s’atténuer, qu’elle tape moins fort sur ma tête, cela reprend encore plus brutalement. J’avance en regardant la ligne blanche. Le déluge s’amenuise mais le tonnerre gronde très fort tout autour de moi. La ligne blanche a des allures de boîte de nuit tellement les éclairs s’y reflètent. Quand je lève la tête pour surveiller la circulation, je vois le ciel se fissurer d’électricité. Je me concentre sur la ligne blanche. Ça va s’arrêter ça va s’arrêter ça va s’arrêter ça va s’arrêter. Mais ça dure, et quand tu penses que l’orage est passé, non, il se reforme, il revient. C’est violent. Enfin, au loin, j’aperçois un nuage éclairé par le soleil. L’orage s’évanouit. Je suis toujours en vie. Je retire ma capuche et respire. Je me dénoue. Le ciel redevient vide comme si rien ne s’était passé. Heureusement, pendant tout ce temps, il n’y a eu aucune circulation. Pas étonnant, plus loin, la route est fermée. Mais à pied, je peux passer. Il fait tellement chaud que tout sèche très vite à part mes chaussettes. Je sens bien que mon petit orteil me crie que le pansement liquide s’est dissout dans l’eau du ciel. Je garde le cap et suis ma ligne blanche. J’observe amusée un papillon qui vient me goûter quand au loin, apparaît comme un mirage. Non, je ne rêve pas. En face de moi, de l’autre côté de la route, dans l’autre sens, un marcheur. Avec un sac sur le dos. C’est John. Il est prof d’histoire à Santa Barbara. Il est parti de Californie il y a 2 semaines. Lui oscille entre train, stop et marche. On discute longtemps assis au bord de la route. On échange nos façons de voyager. Lui dort chaque soir à la sauvage sous sa tente. Il me dit que les meilleurs endroits sont l’arrière des cimetières ou aller loin dans la forêt en faisant attention à ce que personne ne te voit. Il a eu la police plusieurs fois. Je n’aurais jamais le courage de faire ça. Lui me dit qu’il n’oserait jamais le faire en Europe. Même si je lui ai expliqué le concept du bivouac qui n’est pas autorisé ici. Il me dit que l’Amérique a beaucoup changée depuis les attentats du 11 septembre. La peur de l’étranger. Après une bonne heure, nous repartons chacun de notre côté. Lui va voir des amis en Ohio. Je vais Nulle part. Je fais une pause au bord d’une voie ferrée. Manger me fait du bien et me donne de la force pour affronter la suite de la ligne droite qui est plus rude car peu d’espace pour marcher, circulation dense et un fort vent de face. Un homme en pickup fait demi-tour et s’arrête exprès pour me donner une bouteille d’eau. C’est gentil. Justement je commençais à me restreindre pour ne pas en manquer. Je traverse une drôle de ville, Teutopolis. Un mélange de bâtiments historiques et d’industries. Le bitume est tout neuf, j’ai l’impression qu’il fait 50 degrés et que je vais mourir déshydratée. Et là, Jeff, le Monsieur qui plus tôt m’a donné une bouteille d’eau, s’arrête à nouveau, et cette fois m’offre un sac avec des fruits et de l’eau. Parce que votre route est longue me dit-il. C’est tellement adorable et inattendu. Merci Jeff. J’engloutis immédiatement une grosse prune rouge et c’est un délice. Le ciel se charge à nouveau et j’ai enlevé la protection de pluie de Werner lorsque j’ai rangé les fruits. Va-t-il pleuvoir avant ma destination du soir qui se trouve encore à 1h30 de marche ? Quand même pas. Pourtant, mesquinement, le ciel se charge et la chaleur est extravagante. Un coup de tonnerre retentit comme pour annoncer une symphonie. Et il se met à pleuvoir des gouttes plus grosses que des billes. Mais curieusement, le soleil continue à taper fort au travers. La cape de pluie réenfilée est un supplice bouillant. Et ce n’est que la petite bordure de l’orage. Le ciel à nouveau s’assombrit, et c’est reparti. Il y a même de gros grêlons dans le mur de pluie. Je finis la journée de marche comme je l’ai commencée, inondée de tout bord. J’attends un peu que cela se calme sous un porche et arrive en ruines au motel. Werner et moi dégoulinons de chaque centimètre de nous. Il faut tout faire sécher. Mon appli météo annonce seulement maintenant « vigilance forts orages ». Il y a des jours comme ça.

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Dimanche 31 Juillet 2022

Mardi 2 Août 2022

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La publication de ce journal est une commande du FRAC Bourgogne dans le cadre de son projet sur le récit et ses formes.

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